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GUINÉE : En attendant le « big-bang » !

Publié le, 04 juillet 2007 par

Par Cheick Oumar KANTÉ, cokante@wanadoo.fr

Recrudescence d’habitats précaires et insalubres. Pénuries endémiques d’eau potable, d’électricité, d’aliments de base et de médicaments. Épidémies de choléra saisonnières. Prix prohibitif de l’essence et du pétrole domestique. Accès aléatoire au téléphone et à l’Internet. Dénis quotidiens des droits les plus élémentaires des citoyens. Évacuations sanitaires fréquentes du président. Grèves récurrentes de travailleurs, mutineries épisodiques de soldats, massacres réguliers de manifestants…

Cet inventaire n’est pas du tout un exercice de style. Douloureux à faire, il relève d’un désir ardent de focaliser un peu l’attention sur le sort d’un pays, le mien, pour faire accourir à son chevet la communauté des Nations. Car, si le monde est rondement globalisé, il ne semble pas être mieux tenu au courant de ces nombreux « face-à-face » avec leur quotidien des ressortissants de l’ancienne « perle de l’Afrique Occidentale Française », tragédies ordinaires, pour le moins, depuis une cinquantaine d’années.

Pour changer la donne, suffirait-il d’une certaine dose de bonne volonté de la part de tous les Guinéens, d’un peu de fraternité entre eux, de beaucoup d’amour pour leur pays avec une vraie ouverture internationale, toutes dispositions d’esprit, élémentaires, pourrait-on penser, mais bel et bien problématiques en Guinée ? Une certitude demeure, en tout cas : sans elles, le « big-bang politique »  salvateur y sera, encore et toujours, renvoyé à plus tard.

Française au moment de ma naissance, la Guinée est devenue dix ans plus tard à son accession à l’indépendance, en 1958, la République de Guinée par la volonté d’une majorité de mes compatriotes épris de liberté et de dignité, moralement et matériellement soutenus par des hommes et des femmes progressistes de l’époque, des Africains et des Africanistes. Ce sont vraiment de très « bonnes fées » qui se seront penchées sur son berceau, mais ce sont surtout des « ogres », ses dirigeants sans aucune exception, qui se seront rendus, à des degrés divers, responsables autant que coupables de son long calvaire.
« Rendez-vous de tous les bilans » ? C’était, mot pour mot, l’ordre du jour des multiples Conseils Nationaux de la Révolution triomphante au cours desquels les démagogues du PDG au pouvoir – Parti Démocratique de Guinée, « Parti-État unique » – ont rivalisé pendant vingt-six ans pour donner à penser que la Guinée-Conakry, comme il est convenu de l’appeler, était en train d’accomplir des prouesses dans tous les secteurs d’activités et que le bonheur des Guinéens allait sous peu se traduire dans la réalité.
Ainsi aura-t-elle réussi de tout temps à masquer sa gestion erratique sous la férule de gouvernants d’une incompétence crasse et d’une cupidité sans bornes. Soutenu dans ses pires exactions par des militants fanatisés, son régime politique l’aura, de manière paradoxale, rendue moins célèbre que la Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole, dont la barbarie de la classe politique est équivalente. Il en aura fait un pays moins secourable que la Guinée-Bissau, sa voisine, à la combativité légendaire pendant sa guerre de libération contre le Portugal. L’ancienne Guinée française aura, en somme, suscité moins de curiosité que la lointaine Nouvelle Guinée aux mœurs papoues sympathiques...
C’est donc dans l’indifférence générale que le pays du NON au référendum gaullien – proposant la transformation des colonies en « États membres de la Communauté française » – a été rebaptisé République Populaire et Révolutionnaire de Guinée à partir de 1965. Son premier président, Ahmed Sékou Touré, l’autoproclamé Chef Suprême de la Révolution, a voulu se donner à cette date les pleins pouvoirs pour décapiter les empêcheurs de penser en rond, plus ou moins nombreux à se manifester : les enseignants, les élèves et les étudiants dès 1960, les commerçants en 1965, les militaires en 1969. À la longue, il les a purement et simplement imaginés : les membres de la 5ème colonne, au lendemain du débarquement d’opposants appuyés par une logistique portugaise le 22 novembre 1970 et « les comploteurs Peuls » dans son délire de haine ethnique en 1976...
Dans ces circonstances, c’est une « OPA politique », plutôt inamicale, que cette célébration récente à Bamako au Mali de… l’œuvre de Ahmed Sékou Touré ! Et quelle œuvre ?… Il ne faudrait surtout pas oublier qu’aucune entreprise de rétablissement de la vérité sur la tragédie guinéenne – qui ne relève pas de la fiction, elle a matériellement existé ! – ni encore moins de réconciliation nationale n’a été diligentée comme elle l’a été par exemple au Mali, en Centrafrique ou en Afrique du Sud. Alors, les risques ne sont-ils pas grands que le dernier régime qui n’aura pas eu le courage d’instruire le procès du premier – non pas pour venger des morts par d’autres mises à mort ni pour remplir à nouveau les prisons politiques qui devraient avoir disparu – paye un jour pour deux ou pour trois ou pour tous ? Veiller à ne pas remuer le couteau dans les plaies guinéennes ni à insulter l’avenir des relations entre les Guinéens et les autres Africains est un impératif auquel l’on devrait pouvoir se conformer !
Mais, pour en revenir à l’objet de la présente réflexion, le pays des « Rivières du Sud » (appellation première de la région par les Européens à son contact au XIXème siècle) a recouvré son nom actuel : la Guinée, la République de Guinée, en 1984, au décès à Cleveland – qui l’eût cru ? – du Chef Suprême de la Révolution, « l’ennemi »… mortel de l’Impérialisme américain. Depuis le 3 avril de cette année si mémorable, s’est trouvé à sa tête un colonel de l’armée de terre à la profession de foi légendaire pour tout ce qu’elle pouvait susciter comme espoir pour les Guinéens : « Nous arrivons pauvres au pouvoir, nous les militaires. Si nous devenons subitement riches, cela voudra dire que nous vous avons volés ! »
Lui-même commencera par décrocher des galons de Général pour avoir été opportunément absent de Conakry à l’échec d’une tentative réelle ou imaginaire de coup d’État en juillet 1985, initiative aventureuse imputée au colonel en second, Premier ministre puis ministre d’État chargé de l’Éducation nationale, Diarra Traoré. Et surtout pour avoir dit : « wo fatara » (« vous avez bien fait », en langue soussou de la Basse Guinée) aux hordes de pillards des biens de tous ceux qui, de près ou de loin, ont été supposés apparentés ou alliés au ministre « comploteur ». Capturé dans des circonstances rocambolesques, ce dernier a été torturé puis assassiné sans autre forme de procès.
N’aurait-il pas fallu détecter tout de suite les débuts de perversion du nouveau régime et les risques de réitération des tragédies de l’ancien ? N’était-il pas bâti, lui le premier, sur une profession de foi fallacieuse devant le Général de Gaulle, une posture qui n’aura engendré que la misère et la dictature, les deux mamelles mortifères de la Guinée : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à l’opulence dans l’esclavage» ?

QUE S’EST-IL DONC PASSÉ EN GUINÉE ?

En tout cas, vingt-trois ans plus tard – soit après un bail, de trois ans seulement inférieur à celui que la vie a octroyé à son prédécesseur –, le Général Lansana Conté inscrit lui aussi à l’article de la mort depuis bientôt un septennat parce qu’il souffrirait de maladies diverses « garde encore bien l’arme à droite » au point de pouvoir confesser à la presse étrangère (RFI, AFP, Le Monde), fin novembre 2006, une des rares fois où il a concédéà lui parler : « Le pouvoir, c’est Dieu qui le donne. Je termine mon mandat en 2010 si Dieu le veut bien. »
Dans la perspective, il est maintenu en vie – plus souvent « végétative » si l’on en croit des personnalités dans le secret des dignitaires du régime, état apparemment suffisant pour lui éviter le constat de vacance de son pouvoir par les institutions habilitées à le faire – grâce à des évacuations sanitaires dispendieuses dans des cliniques du Maroc ou de la Suisse ou dans les hôpitaux des dignitaires de Cuba. Dans son entourage, on doit savourer l’espèce de trêve politique procurée par la maladie du Général, car aussi longtemps qu’il demeurera fragile, les populations guinéennes éprouveront pour lui de la compassion. Il n’aura pas moins enterré maints Guinéens et Guinéennes plus jeunes et en bien meilleure santé que lui, pouvait-on supposer.
S’agissant du mieux-vivre pour tous, seuls les Guinéens ayant un tant soit peu accédé à une parcelle de responsabilité (pléthore d’anciens ministres et d’ex directeurs de secteurs juteux) et toutes celles et ceux entrés en affaires avec eux sont devenus riches de manière faramineuse. Le récit récurrent des malversations prétendues ou réelles du patron des patrons guinéens et des parades d’amour et de haine, d’amitié et d’inimitié, de partenariat et de concurrence du chef de l’État avec le patron en question, mamayas (danses traditionnelles) ponctuées par son extraction de prison au mépris de la chose jugée, aurait été risible s’il n’avait été emblématique des habitudes de prévarications savamment orchestrées au plus haut niveau au profit d’un seul et même groupe d’intérêts.
Quels sont les bilans à tirer après bientôt cinquante ans d’indépendance ? Ils sont catastrophiques sur tous les plans. Deux systèmes de gouvernement d’une brutalité inouïe auront transformé la Guinée en un gigantesque champ de ruines matérielles et morales. Le premier était pseudo-révolutionnaire du point de vue idéologique et non capitaliste en matière économique. Le second est soi-disant libéral sur tous les plans mais plutôt régulé de façon psychorigide, corrompue et corruptrice. Les vingt-six ans de pseudo-révolution ont été jalonnés d’emprisonnements de citoyens accusés de contre-révolution et leurs répressions, poussées à leur paroxysme entre 1970 et 1971, ont même conduit à la pendaison publique de personnalités de tout premier plan, entre autres citoyens innocents. Les vingt-trois ans de libéralisme sauvage qui n’ont en rien fait rompre avec les pratiques de persécutions de tous les velléitaires d’opposition ont été, quant à eux, une aubaine pour la vieille hiérarchie militaire et ses partenaires : des affairistes nationaux et internationaux de la pire espèce.
Qu’est-ce qui donc aura changé d’une République à l’autre ? Pas, en tout cas, l’incapacité pour un ressortissant guinéen de faire vivre décemment et de soigner au pays les membres de sa famille ! Pas non plus sa frustration en périodes de Coupe d’Afrique ou de Mondial de Football de ne pouvoir regarder les matches parce que l’électricité n’est disponible que pour les rares nantis de groupes électrogènes dans un pays où prend sa source tout ce qui coule comme eau dans la région ! La liberté, peut-être, d’offrir des sépultures « dignes » aux corps des siens, rendus désormais par leurs bourreaux ? …
Que constater d’autre sinon que l’armée a été à ce point dévoyée qu’elle est capable de retourner ses armes contre ses compatriotes pour les déposséder des maigres expédients avec lesquels ceux-ci vivotent après avoir, du reste, toujours maté dans le sang leurs manifestations contre les difficiles conditions de vie ? Quoi dire encore sinon que toutes les richesses du pays demeurent accaparées par une poignée de profiteurs cooptés selon des critères fondés sur le népotisme, l’ethnocentrisme, le « régionalisme » et sur toutes ces autres aptitudes à devenir les larbins du pouvoir politique ?

LE PAYS ET SES INTELLECTUELS

Comment imaginer, avec de tels acoquinements, que des Guinéens puissent être capables de déployer une ambition à la mesure des potentialités que recèle la Guinée et à la hauteur des aspirations au bien-être de ses ressortissants ? Peut-on appeler méthodes de gouvernement des mécanismes de décision plus inspirés par des charlatans véreux, des faux marabouts et des griots démissionnaires que par des constitutionnalistes, des conjoncturistes et autres Guinéens ayant prouvé leur expertise dans les domaines les plus pointus de l’appréhension du mieux-vivre ensemble : politiques, historiques, littéraires, scientifiques, philosophiques, sociologiques, économiques, technologiques… ?
Que faut-il penser des éternels théâtres d’ombres de prétendants à la succession n’ayant d’autre légitimité que celle de se réclamer d’une épouse du chef de l’État, d’un membre ou d’un ami de sa famille, dès que vacille le pouvoir ? Quid des syndicalistes et des membres de la société civile qui en sont réduits à s’adresser au Conseil islamique, à l’Archevêché, aux haut gradés de l’armée, pire aux marabouts, aux enfants, aux épouses et aux maîtresses du président pour quémander le dialogue avec le gouvernement et pour obtenir une réception par le chef de l’exécutif ?
Mais, pour faire diversion, n’est-il pas de bon ton de fustiger une soi-disant apathie des intellectuels ? Certains ne leur imputent-ils pas le mauvais sort de la Guinée ? Comme s’ils pouvaient ignorer, ces grands scrutateurs des mœurs politiques, que le pouvoir guinéen, d’une façon constante, a toujours été conforté de savoir ses écrivains, ses penseurs, ses chercheurs, ses intellectuels… morts et enterrés ou exilés ou, « mieux encore » clochardisés sur place dans les quartiers les plus sordides ?
Je ne suis pas sûr d’être un intellectuel. Tout écrivain en serait-il d’ailleurs un ? Je suis même certain du contraire. La preuve : je n’ai jamais reçu d’invitation à rejoindre l’intelligentsia africaine souvent rassemblée pour réfléchir et proposer des conseils aux détenteurs de responsabilité. J’espère que nous sommes quelques-uns à ne pas en avoir été frustrés, vu « l’efficacité » des préconisations savantes sur la marche calamiteuse et révoltante de la plupart des pays africains. Je ne m’autorise pas moins à faire observer que la vocation des intellectuels n’est certainement pas d’accompagner l’actualité, donc à réagir au coup par coup face à tout événement défrayant la chronique, ni de penser sur commande, ni d’obtempérer à une quelconque injonction. Et puis, quand l’intellectuel n’a rien d’intéressant à dire ou réalise qu’il ajoute à la confusion ambiante au lieu d’aider à la clarification des enjeux, il a bien le droit de ne pas se sentir obligé de le faire savoir !
Qu’ils auraient été édifiés, du reste, les prescripteurs de la conduite intellectuelle à tenir, s’ils avaient seulement lu quelques-uns des livres de leurs compatriotes qui suggèrent, à l’occasion, des voies et moyens pour sortir des ornières les plus périlleuses ! Ne se seraient-ils pas rendus compte que dans toutes leurs œuvres et les plus banales de leurs réflexions, la situation guinéenne a toujours eu sa place et que leur imagination a parfois anticipé et/ou prolongé le déroulement de l’actualité sans trop s’y frotter au risque de s’y piquer ? Hérissons eux-mêmes ou porcs-épics, ils ne devraient d’ailleurs pas être allergiques aux piquants.
La situation, hélas, est qu’il faudrait offrir gratuitement les livres même aux pourfendeurs des intellectuels alors qu’ils auraient les moyens de se les procurer. Il faudrait aussi les lire à leur place pour en extraire « la substantifique moelle » et la porter à l’attention du commun des guinéens vivant en Guinée. À ce dernier, il est de notoriété publique que le pouvoir d’achat interdit tout désir de livres. Et, comme les programmes scolaires et universitaires nationaux méprisent les productions autochtones et que les bibliothèques rarissimes ne croulent pas sous les acquisitions de nouvelles publications, la misère intellectuelle incombe à tout le monde sauf à ceux qui, ne pouvant même pas faire éditer tous leurs écrits ni a fortiori en vivre, ne continuent pas moins d’être tous les jours inspirés…

LE TEMPS DES GUINÉENNES

Mais, symptomatique à tous égards est, heureusement, la période de juin 2006 à juin 2007 qui pourrait bien avoir enclenché le début de la fin de la tyrannie.
Le 12 juin 2006. Des filles et des garçons – en majorité : écoliers, collégiens, lycéens et étudiants – sont tués pour avoir voulu passer coûte que coûte leurs examens, encouragés qu’ils ont été par le gouvernement qui espérait, par leur truchement, casser une grève dure des syndicats d’enseignants. Des pompiers responsables auraient tout fait pour étouffer l’incendie qui couvait. Des ministres, avec ou sans l’aval de leur président, auront donc choisi, eux, de jouer aux pyromanes en réprimant avec violence les élèves révoltés de se retrouver devant des salles barricadées ! Combien y a-t-il eu de tués ? Le saura-t-on jamais ? De toute façon, il n’y en aurait eu qu’un seul à Conakry, à Kindia, à Labé, à Kankan ou à N’Zérékoré... le crime demeurerait odieux. Il se trouve qu’on en aurait dénombré ici et là des dizaines...
Le 10 janvier 2007. Grève illimitée déclenchée par la Centrale des Syndicats, vite embrayée par des manifestations de rues et des revendications d’ordre politique. Le gouvernement n’ayant pas d’autres arguments que la force brutale saigne encore la population jusqu’en fin février et ajoute à son tableau de chasse des centaines de morts et de blessés ! …
Le 2 mai 2007. Des soldats réclamant des arriérés de soldes s’offrent une mutinerie ! Saignement à nouveau de la population, ne serait-ce que par toutes les balles perdues. Une « simple » réédition de la mise à sac par d’autres soldats les 2 et 3 février 1996 des magasins de riz, d’huile, de farine, de jus, de parc automobiles, couronnée par la destruction du Palais des Nations, siège des bureaux de la présidence de la République ! …
Quelques soldats de 96 faisaient-ils partie de l’équipée du 2 mai ? Où les plus jeunes se trouvaient-ils ? Qu’ont-ils fait ou pourquoi n’ont-ils rien fait en juin 2006 et en janvier et février 2007 ? … Comme on voit, il y aura beaucoup de pain sur la planche des éventuels commissaires d’enquête !
Des précédents africains de mutineries et/ou de manifestations, réprimées avec sauvagerie, existent. Elles ont eu des conséquences historiques. Commémoré désormais tous les ans, le massacre de Sharpeville en Afrique du Sud, le 21 mars 1961, a amplifié l’horreur du régime de l’Apartheid et a entamé, de toute évidence, son déboulonnement ultérieur. Les assassinats d’enfants en Centrafrique, les 19 et 20 janvier 1979, ont précipité la chute du Maréchal Jean-Bedel Bokassa. Les tueries d’étudiants au Mali, le 26 mars 1991, ont entraîné la destitution et l’arrestation du Général Moussa Traoré. Les si haut gradés ont été tous les deux traduits devant le tribunal de leur pays et condamnés.
En Guinée, pays de toute première exception parmi les pays les plus exceptionnels, les mêmes causes auront produit des effets différents. Les conséquences des répressions barbares se sont réduites pour le moment au choix d’un Premier ministre au sein d’un panel de personnalités établi par les syndicats, le Conseil islamique, l’Archevêché, la société civile, les ONG, les… !
L’idée n’est pas de bouder cette avancée originale au prétexte qu’elle aurait coûté trop cher : immenses dégradations matérielles, nombreuses et irréparables pertes en vies humaines dans un pays qui a trop perdu de son sang pour se résigner à en laisser encore couler. Et ne dit-on pas qu’il faut savoir donner du temps au temps ? C’est même une preuve de grande sagesse. À la condition, cependant, de ne pas le laisser filer, dans l’espoir qu’il s’épuisera tout seul à émousser les difficultés que l’on ne met aucun empressement à résoudre. Une telle attitude serait tout simplement fatale car, avec le temps, tout ne s’en va pas, Mesdames et Messieurs les politiciens guinéens.
Après s’être accommodés (pendant cinquante ans !) du temps qui passe et les lasse à peine, les citoyens guinéens se sont bel et bien levés, ces derniers temps, et si nombre d’entre eux ont été assassinés, les survivants, eux, ne se recoucheront plus. Ils n’ont plus le temps « d’attendre le bateau » mythique du temps des pénuries les plus monstrueuses, navire fantôme censé les approvisionner en petits bonheurs simples : chaussures, sucre, riz, huile, lait… De nos jours, leurs besoins sont, de toute façon, très sophistiqués : « bonne gouvernance », ordinateur et téléphone portables, télévision à écran plasma...
Le temps ? Il est compté même pour un Premier ministre. C’est de l’argent. Apparemment, il le sait, le nouveau « Premier ministre plénipotentiaire » qui ne rêve d’ailleurs pas de suspendre son vol et l’a pris au contraire pour organiser une sorte de conclave des « Cardinaux » de son gouvernement dans un de ces sites insulaires guinéens enchanteurs. Mais, à imagerie religieuse, imagerie religieuse et demie ! Pour que des fumées blanches s’échappent, dans les temps, de la Grande Cheminée guinéenne et soient suivies par d’autres fumées blanches, il va falloir renoncer d’emblée à appliquer des cautères sur les jambes de bois et recourir à la chirurgie fine de la plus haute performance. Deux ou trois défis cruciaux (l’électricité et l’eau potable pour tous, la sécurité des biens et des personnes…) sont à relever en un temps record et surviendra à temps, on ne peut plus opportun, le « big-bang » salutaire... Tout le reste ne serait que perte de… temps, un temps qui, on l’aura compris, sera pour les Guinéens et leurs dirigeants le facteur déterminant.
Qu’on se le dise une fois pour toutes ! La situation de la Guinée a beau être désespérante, elle n’est pas désespérée ! Elle pourrait, la Guinée, devenir rapidement un pays de bonheur. Elle n’aurait même pas assez de l’ensemble des forces et de la somme des intelligences de ses seuls ressortissants pour faire fructifier ses potentialités : mer, montagne, savane, forêt et sous-sol... Et, on en arrive presque à devenir honteux de ressasser qu’elle est bénie par la nature et, du seul fait de ses hommes, vraiment maudite ! Mais, Guinée signifie femme en soussou. Et, comme les murs porteurs de l’édifice tiennent encore un peu grâce à la gent féminine qui a toujours veillé sur eux comme à la prunelle de ses yeux, c’est assurément avec le temps des Guinéennes que se produira le sursaut tant attendu.