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Par Papa Diadji Gueye

De nos jours les femmes font de plus en plus d’études et accèdent à plus de responsabilités professionnelles de sorte que c’est à bon droit que nous affirmerons à la suite des économistes de l’éducation que la formation est devenue la clé de voûte d’une insertion des jeunes, en ce sens qu’elle fournit les armes de la compétitivité sur le marché de l’emploi.Pourtant, les femmes originaires d’Afrique de l’Ouest vivant sur le sol genevois n’ont pas le vent en poupe dans la course à l’emploi en adéquation avec leur niveau de formation. Elles prêtent le flanc à des stéréotypes dont l’existence précède leur immigration et qui les enfoncent impitoyablement dans le labyrinthe de la marginalisation professionnelle. Pour tout simplement être acceptées, elles doivent faire face à des appels multiples : appel à la compétence, appel à l’obtention de diplômes locaux, appel à la combativité, appel à l’exemplarité, appel à l’inflexion de toutes les attentes négatives pesant sur elles et leurs confrères…appel à des aptitudes psychologiques dépassant la mesure.

Alors, quelles réalités se cachent derrière les apparences les moins évidentes ? Au-delà des statistiques, Continent Premier s’est entretenu avec des femmes ouest-africaines à Genève pour recueillir leur avis sur la question et apprécier leurs représentations de la situation.

SITUATION DU CHOMAGE ET PLACE DES AFRICAINS

Une étude réalisée par L’ORTE en 2005 a révélé clairement la part incommensurable occupée par les ressortissants du continent africain dans la population vivant en Suisse Romande et frappée par des difficultés d’insertion professionnelle (30, 2% pour une moyenne de 7,3% dans la comparaison incluant les ressortissants de l’UE, les autres pays de l’Europe, l’Afrique, l’Asie, le Canada et les Etats-Unis, les autres pays d’Amérique, l’Océanie et la Suisse). En effet, l’Afrique caracole en tête du classement des nationalités inscrites au nombre des demandeurs d’emploi au titre de l’année 2004, alors que les suisses eux-mêmes et les ressortissants des pays comme l’Océanie, le Canada et les Etats-Unis sont très faiblement représentés.
En réduisant cette analyse à la stricte population genevoise, nous parvenons à un taux de 27, 9% pour les africains sur une moyenne de 9% ( Plasta cité par ORTE, p.15), ce qui place les originaires de cette partie du monde largement au dessus de la moyenne. Cet argument est à prendre avec modération dès lors que le rapport formation-emploi est pris en considération. En introduisant ce nouveau paramètre dans l’analyse, nous voyons se reléguer en avant-dernière position les ressortissants d’Afrique après ceux de l’ex. Yougoslavie. Ainsi, le niveau de formation occupe une place considérable dans la recherche et l’obtention de l’emploi. Même si cette étude donne une idée de la situation de l’insertion de ces ressortissants, elle est d’une part évasive (car incluant toute l’Afrique) et d’autre part, elle ne montre pas une sensibilité générique à l’emploi ou à sa recherche.
Toutefois, les données fournies par l’OFS (Office Fédéral de la Statistique) en 2003 révèlent un grand déséquilibre entre l’emploi des hommes et celui des femmes après la formation. Les taux les plus élevés d’insertion vont à l’endroit des hommes. En illustration, en 2001 sur un total de 3053 emplois octroyés, les femmes n’occupaient que 883, le reste étant pris par les hommes.
Si le critère « diplôme obtenu » est l’instrument de mesure des chances d’insertion des hommes et femmes, alors à titre égal les émoulus d’un système de formation doivent avoir les mêmes chances face à l’emploi.
Pourtant, une enquête réalisée dans le cadre de l’ESPA (Enquête Suisse sur la Population Active) montra l’effet de la formation sur l’obtention de l’emploi pour les sortants des HES (Hautes écoles spécialisées).
Un an ou quatre après la formation, les sortant ou sortantes des HES n’ont pas tous les mêmes chances de trouver un emploi. C’est ainsi que l’on retrouve une proportion très faible d’hommes en demande d’emploi 4 ans après la formation (moins d’1, 5%) contre un peu moins de 3% pour les femmes. C’est dire que même si pour la première année après l’obtention du diplôme hommes et femmes ayant suivi ce type de formation s’inscrivent au même degré sur la liste des demandeurs d’emploi, les années suivant la formation donnent toujours les hommes favoris devant l’acquisition d’un emploi. 4 ans après la formation la plupart des hommes se stabilisent, mais les femmes, par contre flirtent avec des données frôlant la barre des 3% sur la liste des sans-emploi. Cette tendance est confirmée pour la population suisse par les statistiques remontant même en 1994 (OFS, 1996), lesquelles montrent des taux d’activité selon le sexe et l’âge plaçant toujours les hommes pour ces tranches d’âge au sommet de la pyramide.
Une telle remarque vaut-elle pour les femmes diplômées originaires d’Afrique de l’Ouest ?

INSERTION DES DIPLOMEES OUEST-AFRICAINES A GENEVE

  • - Représentation de la discrimination sexuelle par les femmes ouest-africaines

Notre enquête, sans prétendre à l’exhaustivité essaiera de recueillir, de façon représentative la perception de l’insertion que se fait cette catégorie de femmes citée plus haut en vue d’une analyse des possibilités de trouver un emploi en adéquation avec le niveau de formation pour ensuite l’étendre à la position des hommes afin de mieux pouvoir jauger de la véracité de l’opinion d’une partie ou de l’autre.
Prendre en charge cette question revient à se demander si les femmes qui ont déjà obtenu un diplôme universitaire se sentent victimes de la discrimination de genre dans la recherche d’emploi.
Sur un échantillon de 30 femmes interrogées sur la base d’un entretien semi-dirigé laissant la liberté de discussion, nous avons recueilli des témoignages qui adhèrent pour la plupart du temps à la conception selon laquelle le diplôme n’est pas un élément suffisant pour une bonne insertion lorsqu’on est femme ouest-africaine vivant dans le Canton de Genève. De toutes les femmes interrogées seules 3 s’estiment n’avoir pas été victimes d’une discrimination sexuelle lors de la recherche d’emploi. Il s’agit ainsi d’un faible taux de 10 % : « Après avoir soutenu ma thèse, j’ai déposé mes dossier au B.I.T pour un stage qui était mis à compétition et ma demande a été retenue », déclare C D, une ouest-africaine qui en ce moment occupe un poste de responsabilité au Bureau International du Travail. Celle-ci ajoute que « mon stage s’est transformé en contrat de travail après 6 mois de pratique, de sorte que je n’ai pas eu le temps de chercher autre chose ». A entendre les propos de cette femme, on note une certaine rapidité d’insertion qui n’inclut aucune considération relative au genre ou à la nationalité. S’agit-il d’une réelle exception dans une pluralité de possibles ?
Sur la question de la discrimination sexuelle exercée ou non sur les ressortissantes d’Afrique de l’Ouest, Madame A.C, gestionnaire de fortune dans une des banques privées de la place, atteste qu’elle n’a jamais senti de rejet d’employeurs tout simplement parce qu’un candidat était du sexe féminin. « Moi j’ai été engagée sur simple envoi de mes dossiers après la formation en BTS finance en France. Et quand je suis arrivée sur Genève, je n’ai pas senti non plus de discrimination à l’emploi, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existe pas ». Néanmoins cette ressortissante du Burkina Faso qui a fait toute son enfance et ses études en France, ce qui lui a procuré la citoyenneté française, baigne-t-elle pour autant dans le même contexte que les autres filles ou femmes ouest-africaines ? Elle reconnaît être tout de même la seule personne de couleur active dans cette grande filiale où elle travaille. Cette femme est l’incarnation d’un parcours dénué de toute forme de discrimination de genre ou de culture, mais sommes-nous pour autant en droit de conclure quant à une généralisation de son cas ?
M.N, assistante de recherche donne toutefois un avis plus détaillé et plus complexe de la question, d’autant plus qu’elle est spécialisée en Etudes Genre : « J’avais déjà la maîtrise en Droit en Afrique depuis 2000, mais c’est seulement cette année que j’ai pu avoir le poste d’assistante de recherche, deux ans après ma première thèse. Pendant plusieurs années, j’ai travaillé comme commerciale pour subvenir à mes besoins. En ce moment-là, j’ai souffert de la réticence des employés, mais celle-ci ne me semble pas être essentiellement due au sexe auquel j’appartiens ». Lorsque l’on entend ces propos, on est porté à voir au-delà de l’appartenance à un quelconque sexe des caractéristiques intrinsèques aux candidates et qui ont une véritable importance aux yeux des employeurs. Le développement du discours de cette femme fait ressortir des éléments du genre « Avez-vous un permis de travail ? » ou bien « D’où venez vous, madame ? ».
A travers une telle orientation des employés pointant de prime abord la question de la situation régulière du candidat nous pouvons fait ressortir une crainte des employés non pas par rapport à la compétence ou à la nationalité du sujet, mais plutôt à un souci de déroger par rapport à des normes légales en vigueur dans le cadre de la lutte contre le travail au noir.
En somme, il apparaît que peu de femmes d’origine ouest–africaine vivant sur le sol genevois, même après l’obtention d’un diplôme, ont la chance de n’avoir pas eu à affronter de manière prégnante la question de la discrimination de genre. Les 90% restants adhérent à l’opinion qui jette le discrédit sur la stricte formation du sujet comme seul moyen d’accéder à des postes dont l’assomption requiert juste des compétences précises.
A ce propos de nombreuses femmes interrogées sur cette même question quant à une préférence pour l’autre sexe de la part des employeurs potentiels, les témoignages coulent à flot : « Après ma licence en sciences de l’éducation, j’essaie de trouver un emploi dans mon domaine depuis trois ans, mais en vain », affirme S.D., originaire de Guinée, inscrite au chômage depuis 8 mois. Avant de nous préciser qu’elle cumule des diplômes aussi bien de son pays d’origine que du pays d’accueil lui-même, la Suisse sans pour autant transférer ses compétences dans la profession. Elle reconnaît avoir entrepris maintes démarches afin de s’insérer à la hauteur de ses formations, mais sans succès. Sur un air sardonique, elle ajouta : « Dès l’instant que l’employeur intéressé par mon dossier remarque mon accent au téléphone, il me demande sans le moindre scrupule de quel pays je viens. Et là…, je ne peux rien inventer. Alors, la réaction est toujours la même, "nous avons vos coordonnées madame, nous allons vous appeler en cas de besoin". Et jamais d’appel à ce jour ». Si le seul facteur « Diplôme » suffit à permettre une bonne insertion, il semble, à la lumière de ce témoignage que les femmes ouest.- africaines n’ont pas le vent en poupe dans cette cherche effrénée d’un emploi en adéquation avec la formation. Certaines candidates à un simple petit boulot expriment leur amertume et déception lorsqu’elles entendent dire des employeurs que le travail sollicité demande beaucoup d’endurance et de résistance au stress, ce qui, automatique, les met hors course. S’agit-il réellement d’une franchise traduite dans les propos de certains chefs d’entreprises de Genève ou uniquement d’un échappatoire lorsque l’appartenance générique ou culturelle est dévoilée ?
En tout état de cause, de telles réponses ou du moins, un tel volte – face récurrent des employeurs dessine une certaine « identité sexuelle au travail » (Marie-Pierre Guiho Bailly, 1999). Si l’accomplissement de certaines tâches professionnelles à une époque où les services constituent le ferment de presque toutes les économies occidentales, mettant en avant l’argument de la « phallicisation » du travail n’est que le reflet d’une conception soit archaïque, soit illusoire du travail. Convenons avec le même auteur que le contexte économique a pris une nouvelle dimension de sorte que « l’industrialisation, en transformant le mode de production va provoquer une première remise en cause de l’ordre établi, une première crise des valeurs viriles ». Dès lors, c’est à peine si nous percevons une certaine masculinité dans le travail de sorte que toute pensée empreinte d’une sexuation dans la tâche prescrite participe de la chimère. Précisons que « la mécanisation [ajoutons-y la bureaucratisation des économies] rend la force des hommes et leur endurance inutiles : la parcellisation des tâches les dépossède de l’initiative et de la représentation des finalités de leur ouvrage, dévalue leur savoir-faire de métier, les prive du contrôle de la qualité de leur travail… » (Ibid., p.143). Ce ne serait donc qu’un déni du véritable aspect du travail que de réduire les conditions de sélection ou d’engagement à la dimension générique.
Outre la question du genre ces jeunes femmes, originaires d’Afrique de l’Ouest, semblent décrire à travers leur discours une discrimination à l’embauche qui trahit la discrétion d’une catégorisation culturelle. L’étude réalisée par l’ORTE et que nous avons citée plus haut parvient à la conclusion qu’en sus à des compétences professionnelles, dont disposent les candidats, les employeurs tablent également sur l’origine des sujets à recruter. Ainsi, « à compétences égales, il est plus facile à un suisse de trouver du travail qu’à une personne d’origine étrangère » (Ibid). Genève n’est que le reflet d’une telle perception et la population ouest-africaine est un échantillon de cette grande population victime des habitudes de sélection qui, pendant de nombreuses années, ont scandé le quotidien des entreprises suisses en général et genevoises, en particulier.
Une étude portant bilan du féminisme à Genève fit remarquer par la voix de Marinette Payot, l’existence dans la population même de ce Canton une discrimination de genre dont souffrent les jeunes filles dans la marche vers leur première insertion :: « il me tient à cœur de souligner la discrimination qui atteint les jeunes femmes à la sortie de leurs études et à la recherche de leur premier emploi » ( Payot M., in Les femmes, c’est formidable : Bilan et perspective du féminisme à Genève, 1989, p.89). Ce constat se confirme par des études comme celle de l’ORTE (2005) ainsi l’analyse de l’Observatoire Universitaire de l’Emploi (1996).
En effet, il existe en réalité un « sentiment de rejet d’une partie de la population suisse à l’encontre de certaines populations », ce qui pousse de nombreux employeurs à écarter « les candidats de certaines origines » (Etienne Piguet, 2004 cité par ORTE 2005, p.19)
La neutralité des employeurs dans le paysage du recrutement de jeunes diplômés est alors érodée par une méfiance séculaire qui ne se justifie pas nécessairement. C’est pourquoi Fibbi et al ont pu dire qu’ « il apparaît qu’à profil égal, les employeurs n’ont pas un comportement neutre vis-à-vis d’un demandeur d’emploi selon le groupe national auquel il appartient » ( Fibbi et al, Nomen et Omen. Quand s’appeler Pierre, Afrim ou Mehmet fait la différence, PNR 43, P9). Il résulte de telles affirmations fondées sur le constat du quotidien que les jeunes issues des migrations extra communautaires à l’exemple de l’Afrique de l’Ouest sont les premiers souffre-douleur d’une politique d’intégration salutaire, mais traduite dans les faits par des incartades et une soustraction permanente aux prescriptions de la part de acteurs sociaux. Ferro-Luzzi G. et Flückiger Y. ne disent pas le contraire dans leur Analyse des inégalités entre les femmes et les hommes sur le marché du travail à Genève lorsqu’ils affirment que « la ségrégation sexuelle est moins forte au sein de la population suisse qu’au niveau des étrangers si l’on considère les professions exercées ou le secteur d’activité » (Ferro-Luzzi G. et Flückiger, 1996, p.31). Si la finalité du diplôme est d’abord et avant tout de permettre une employabilité des personnes formées, il n’en demeure pas moins que cette aptitude est soumise à des considérations de nature à rendre toute perspective d’une insertion soit précoce, soit tardive particulièrement difficile.
Les diplômées ouest-africaines vivant à Genève sont entravées dans la recherche d’un emploi équivalent à leur compétence par deux obstacles majeurs : l’appartenance sexuelle et l’appartenance nationale, victimes qu’elles sont à la fois de stéréotypes xénophobes et de sexuation discriminatoire.
Nous avancerons en analysant la perception que se font les hommes de l’insertion des femmes, s’ils perçoivent une certaine préférence des employeurs qui les donne favoris dans la recherche d’emploi en compétition avec les femmes.

  • Regard des hommes sur la question de la discrimination des femmes ouest-africaines :

Pour un équilibre de la perception, concernant l’opinion qui est faite de la question de la discrimination que peuvent vivre les femmes originaires de l’Afrique de l’Ouest établies à Genève, nous avons convenu d’interroger un nombre équivalent d’hommes venant de cette même partie du monde.
Nous avons de ce fait continué notre enquête en interrogeant d’abord des hommes qui ont réussi à s’insérer professionnellement dans la société genevoise.
Les données recueillies révèlent des positions aussi plurielles que variées. Si pour certains hommes la question de l’insertion dans une entreprise n’est pas déterminée par une appartenance à l’un ou l’autre sexe (26% des 30 hommes interrogés), nombreux sont d’un avis soit neutre face à la question, soit décèlent une certaine préférence des femmes.
En milieu professionnel classé d’élevé, plusieurs personnes sont d’avis qu’il y a une préférence discrète pour les hommes dans le recrutement de nouveaux collaborateurs : « Le jour de notre entretien pour l’emploi que j’occupe actuellement, il y’avait plus de femmes que d’hommes diplômés, mais après la sélection, seule une de ces femmes était retenue », fait remarquer N.D, un ghanéen diplômé de l’ETI et qui exerce sa fonction en tant que traducteur dans une ONG. Pourtant dans ce type d’activité faisant intervenir plus des aptitudes mentales et une bonne présentation qu’une quelconque masculinité, les hommes semblent favorisés par le système en place ou plutôt par des habitudes sociales. Il s’y dénote une division sexuelle du travail que cautionne une « identité de genre verrouillée », comme le note Guiho-Bailly (Ibid. p.146), celle-ci « offrant peu d’espace au jeu pulsionnel, bloquant les mécanismes identificatoires, calquant les relations avec l’autre sexe sur le modèle des rapports socialement déterminés ». Un effet de la perception de la société sur le rôle traditionnel de l’homme et de la femme semble ainsi d’actualité encore dans certains milieux professionnels. Il s’agit là, ajoute l’auteur, « d’une pseudo-identité, reposant sur des stéréotypes… ». Or, dans les discours, conformément justement aux dispositions institutionnelles concernant l’égalité des sexes établies depuis plusieurs décennies (notamment avec la création du Bureau de l’Egalité par le Département de Justice et Police en 1987 ) *, on clame tout haut ce qui ne se pratique pas tout bas, de sorte que nous parlerons à la suite de Martine Chaponnière de ce qu’il est convenu d’appeler « le biais endrocentriste » (Les femmes, c’est formidable, 1989, p.102). On prétend à la neutralité et à l’objectivité des principes de base devant régir les actions, expurgées de toute perception sexuelle au travail, mais en réalité, une vision exclusivement masculine du travail oriente les actions et les choix des dirigeants. A diplôme égal, y a-t-il les mêmes chances d’insertion chez les hommes et chez les femmes d’origine ouest-africaine ? Si le diplôme est le drapeau que l’on brandit pour souscrire à un emploi disponible, il ne semble pas, à la lumière de certains témoignages, être le seul facteur qui permet aux employeurs de porter leur choix sur certains candidats au lieu d’autres : « Ma femme et moi avons suivi la même formation en informatique et obtenue les mêmes diplômes, mais je suis le seul à me voir proposer des postes, alors que nos dossiers sont presque toujours envoyés au même moment », précise A.D, Webmaster dans une entreprise de la place. Le diplôme et la formation sont certes importants, mais le choix semble majoritairement donner l’avantage aux individus de sexe masculin lorsqu’il s’agit de recruter un nouveau collaborateur dans la course aux emplois hautement qualifiés.
Toutefois, cet argument est battu en brèche par la perception des hommes évoluant dans un autre milieu professionnel qui de surcroît se caractérise par des exigences intellectuelles plus basses. C’est ainsi que monsieur D.K, un ressortissant du Sénégal, actuellement veilleur de nuit dans un hospice exprime sa déception face aux multiples choix des employeurs portés aux femmes : « Je suis certes en formation continue à Genève, mais j’ai déjà obtenu la licence en Langues étrangères appliqués dans le domaine du tourisme. Mais à chaque fois que je postule à un emploi correspondant à ma formation, je note que l’employeur a une préférence pour les femmes. Déjà , avant même de postuler, je lis souvent en tête de page de l’offre que celle-ci s’adresse aux femmes. Alors, je suis obligé de faire une reconversion pour voir des domaines autres que le tourisme ». Le discours presque en larmes que développe cet étudiant ouest –africain montre à quel point le type de formation et le type d’emploi sollicité sont sensibles à la question du genre. La conception traditionnelle de certains métiers dits « féminins » semble encore très actuelle dans les entreprises. Si certaines professions sont, du fait de clichés de longue date identifiant tacitement l’individu par son activité, strictement réservés à un genre plutôt qu’à un autre, alors elles cautionnent l’argument selon lequel le travail a un sexe. C’est la confirmation de la valeur de la représentation que se font spontanément les gens dans la « constitution des rapports sociaux » qui donne un crédit illusoire à la « virilité et à la féminité » de l’activité (Guiho-Bailly, 1999, P.142).
Outre, la difficulté d’insertion de certains hommes, dans un contexte qui n’est pas toujours favorable à la formation suivie, l’appartenance à un sexe peut entraîner une dépréciation de la compétence du sujet, laquelle le confine à des tâches subsidiaires le mettant en situation de lutte contre des quotidiens aigres. Un tel phénomène est très répandu dans un univers de forte migration. Lorsque la formation suivie ne donne lieu qu’à un emploi largement en deçà des compétences du sujet, alors elle ouvre la voie à ce qui est appelé par les économistes de l’éducation « le déclassement ». Celui-ci est défini de façon quasi unanime : « est considéré comme déclassé tout individu dont le niveau de formation initiale dépasse celui normalement requis pour l’emploi occupé » (Nauze-Fichet E. et Magda T., 2002, p.27).
Nous voyons aisément à la lumière de ce constat émanant des hommes (quoique non représentative, seulement 6% des hommes interrogés) que malgré toutes les idées féministes qui font échos, il y a encore des tâches pour lesquelles les employeurs comptent davantage sur la compétence ou plutôt, devrait-on dire, les dispositions physiques des femmes qui font la différence pour allécher plus d’un employeur. Pourtant, un grand nombre de personnes (hommes et femmes) interrogées créditent l’existence à la fois d’une discrimination sexuelle et raciale ou culturelle dont les femmes ouest-africaines sont les premières victimes.

Il apparaît que ce n’est pas simplement l’appartenance à un sexe qui est un facteur discriminant pour cette couche de la population vivant dans le canton de Genève qui est pointé du doigt, mais des facteurs multiples œuvrant bien souvent à la défaveur de la population extracommunautaire.

FACTEURS INFLUANT SUR LES TRANSITIONS ENTRE
LA FORMATION ET L’EMPLOI

De nombreux facteurs sont pris en compte par les employeurs potentiels lorsqu’il est question d’éplucher le dossier d’un étranger. Le diplôme est un indicateur en ce sens qu’il informe sur le profil du candidat. Mais à lui tout seul il devient faible car devant faire appel à de nombreux autres paramètres souvent complexes ou infondés. Les femmes ouest-africaines ne sont pas nécessairement favorisées par ces facteurs.

La reconnaissance des diplômes :

La plupart des diplômes obtenus en Afrique ne font pas recette dans le monde du travail en Occident. Les préjugés multiséculaires, même s’ils n’ont pas leur fondement réel inspire méfiance chez les employeurs de sorte qu’une acceptation de la demande d’une candidate résultera de tests et d’enquêtes très sévères. Le témoignage de bon nombre de nos interlocuteurs y apporte la preuve : « Certains employeurs m’ont même demandé où j’ai appris le français, puisque dans leur offre, ils demandaient le français comme langue maternelle », informa M,D, une malienne d’origine congolaise établie à Genève depuis 18 ans. Elle eut la chance d’être retenue à la défaveur des autres candidats qui avaient certes obtenu un diplôme dans leur pays d’origine, mais qui n’avaient pas encore achevé leur formation à l’université de Genève. S’agit-il là d’une simple dépréciation du diplôme obtenu dans un pays autre que la Suisse ou d’une discrimination savamment déguisée pour lever toute crainte quant à un sectarisme qui ne se justifie institutionnellement pas ? La question est posée.
Elle atteint sa limite lorsque même les femmes de cette origine ayant déjà obtenu un diplôme universitaire en Suisse sont confrontées à d’énormes difficultés tout simplement de trouver un poste en tant que stagiaire : « J’ai changé de spécialisation pour faire la mention LMRI car pendant une année entière j’ai cherché en vain un stage », se plaint E.S, une ressortissante du Cameroun. Mais le diplôme n’est pas le seul facteur qui intervient dans la quête d’une bonne insertion.

  • Les études suivies

La filière choisie par les étudiants n’est pas sans effet sur les possibilités offertes pour s’insérer après la formation. Aujourd’hui, la tendance à la facilité d’insertion est définie par des formations professionnalisantes car plus les études sont profilées sur le plan professionnel, plus l’insertion sur le marché du travail est facilitée et rendu plus précoce. Il s’agit pour le cas de la Suisse, des élèves qui choisissent l’option du système dual (combinant formation en salle et travail de terrain, ce qui leur procure une expérience professionnelle au moment même de la formation) Ils ne sont donc pas confrontés au paradoxe d’avoir à la fois le diplôme et l’expérience professionnelle tout en étant jeune. Au niveau du tertiaire, l’avantage va à l’endroit des étudiants ayant choisi des formations comme les HES (Hautes Etudes Spécialisées). La plupart des personnes sur lesquelles a porté notre étude ont suivi la formation classique de l’université, ce qui se présente sous la forme d’études théoriques. Une telle orientation rencontre souvent la méfiance des entreprises modernes mettant l’accent sur l’expérience, plus que sur les connaissances. Seuls deux hommes parmi eux ont suivi cette filière et ils ont une bonne et précoce insertion dans la même société.

  • L’âge des femmes : un facteur entravant ?

Dans les entreprises modernes, on a tendance à exiger de la compétence, un titre et de la jeunesse. Pourtant en raisons d’exigences très marquées lorsqu’un projet d’immigration pour la Suisse à des fins académiques est lancé, les africains suivent d’abord une première formation universitaire sanctionnée par la licence ou la maîtrise. De cette sorte, nombreux partagent des cours avec des nationaux fraîchement sortis du système secondaire II. D’autres suivent des études post-graduate. De telles exigences compromettent le facteur de la jeunesse qui tourne plus à l’avantage des nationaux généralement beaucoup plus jeunes : « J’ai eu mon bac [équivalent de la maturité en Suisse] il y’a 14 ans. Après quatre années de travail dans mon pays, me revoilà sur les bancs de l’université à la recherche de diplômes européens », nous confessa A.N., une sénégalaise qui a choisi de ne pas nous révéler son âge. Mais cela augure d’un âge très avancé. Elle est en ce moment inscrite au chômage après de longues et vaines recherches d’emploi.

Effet du statut légal dans la quête d’insertion

En sus aux éléments cités plus hauts, les personnes interrogées font ressortir la place cruciale qu’occupe le « statut de séjour » (ORTE 2005, p.19) de la personne. En effet sur les 60 ressortissant d’Afrique de l’Ouest interrogées, seuls 8 ont un permis de séjour autre que le permis B Etudiant, ce qui d’emblée leur ôte toute la possibilité d’exercer un emploi dont le taux horaire dépasse les 20 par semaines, à moins d’être sélectionnée par une organisation internationale ou non-gouvernementale. C’est ce qui fit dire à la même source citant les enquêtes du PNR 39 qu’ « il apparaît que les immigrés provenant des pays hors UE et AELE ainsi que les réfugiés ont en général un statut précaire en matière de permis de séjour » (Ibid.). Si toutefois la compétence est acquise et que les exigences du monde du travail vont au-delà des 20 hebdomadaires, les femmes ouest-africaines dans la plupart du temps sont réduites aussi longtemps que le permis de séjour les y confinent, à des petites activités qui témoignent d’un déclassement notoire.

  • Les facteurs sociaux

Ces facteurs ne sont pas toujours neutres pour les femmes une fois qu’elles veulent se lancer sur le marché de l’emploi. En effet, le déplacement vers la Suisse dans un but purement académique laisse la plupart des personnes interrogées en situation paradoxale constituée par la double exigence de s’intégrer dans la société d’accueil tout en restant prêtes à un retour à la terre natale, à la patrie. Ce qui fait qu’un attachement dans cette nouvelle destination qu’est la Suisse ne serait gouvernée que par l’assurance d’une stabilité professionnelle qui laisserait la liberté de mouvements internationaux et d’ouverture afin que les liens sociaux qui ont toujours donné sens à leur vie puissent se perpétuer : « Je suis prête à m’installer ici, mais à condition d’être stable, pour rendre visite et recevoir de temps en temps la visite de ma famille ». Ces propos sont d’une ressortissante de Guinée Equatoriale en Suisse depuis 9 ans. Elle ne pense en ce moment qu’à rentrer en raison d’une difficulté d’insertion malgré ses deux licences.

Les facteurs psychologiques

Ceux-ci ne sont pas sans importance dans la recherche d’un emploi stable après la formation. Aujourd’hui, les critères d’embauche ne se limitent plus, face à une demande surdimensionnée, à une observation du CV des candidats. A compétences égales et expériences identiques, il faut sans aucun doute trouver des moyens de départager les postulants. Le comportement de la candidate déjà diplômé ou diplômée en puissance dans sa manière d’agir et de penser informe largement sur ses aptitudes à bien gérer une tâche prescrite, tout en ne laissant qu’une petite marge d’erreur. Convenons avec Guiho Bailly que « toute tâche même la plus simple en apparence, nécessite la mise en œuvre de savoir-faire empiriques complexes, savoirs non formalisables dans le discours, prenant source essentiellement dans l’engagement corporel, sensoriel, psychique dans le travail » (Ibid,.p145).

En somme il s’agit d’une pluralité de facteurs qui accompagnent toute procédure ou volonté d’insertion des sujets dans un contexte de concurrence où le seul argument du diplôme ou de la compétence s’avère encore faible, comme moyen d’accès direct à l’emploi équivalent à la formation.

Les femmes ouest-africaines vivant sur le sol genevois prêtent le flanc à des stéréotypes dont l’existence précède leur immigration. Elles doivent faire face à des appels multiples : appel à la compétence, appel à l’obtention de diplômes locaux, appel à la combativité, appel à l’exemplarité, appel à l’inflexion de toutes les attentes négatives pesant sur elles et leurs confrères…appel à des aptitudes psychologiques dépassant la mesure….
Elles baignent dans un contexte marqué d’abord par une forte discrimination sexuelle qui fait même des femmes dont Genève est la patrie, les dindons de la farce d’un simulacre de justice sociale érigée en norme. Une discrimination sexuelle qui reste aveugle et imperturbable malgré les vastes mouvements féministes qui prêtent leur concours à la lutte pour la reconnaissance de l’égalité entre les sexes qui n’est pas encore une acquisition totale même si des avancées sont notées dans ce domaine.
Elles demeurent doublement lésées, ces femmes : lésées par l’appartenance à un sexe dont le champ d’action professionnel est réduit en sa plus simple dimension, et lésées par des considérations racistes qui limitent toutes leurs chances d’intégration sociale professionnelle.
Des diplômes ont beau avoir été obtenus, des compétences ont beau avoir été acquises, mais il reste à gagner d’abord une bataille, celle de la reconnaissance identitaire. Une identité qui donne crédit à leur dimension en tant qu’êtres capables de faire usage de leurs capacités intellectuelles à la hauteur et au delà même de celle des hommes, mais à leur dimension en tant qu’êtres capables d’occuper des fonctions particulièrement hautes sans pour autant courir le risque de révéler des manquements ou carences imputables à leur toute simple nature de femme.
L’espoir demeure dans la «femme de demain » avec le triomphe de la science tel que l’enseignait déjà Evelyne Sullerot (1965) car la femme n’est pas que consommatrice de culture, elle en est productrice. Les télécommunications, bref, les médias en seront les moyens. Certes la science, dans son évolution, propose, mais ce sont les sociétés au travers des actions permanentes, qui disposent.
A l’heure de la mondialisation, où les frontières se dissipent dans l’ombre d’un monde unique, les politiques et les luttes font boule de neige et retentissent par-delà les espaces géographiques.

BIBLIOGRAPHIE

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Sullerot E., Demain les femmes, ed. Gonthier, Paris, 1965

Ouvrage collectif, Les femmes, c’est formidable : Bilan et perspectives du féminisme à Genève, ed. F-Information Genève, p.87