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Crimes environnementaux : quand la nature devient la cible du crime organisé.

Publié le, 14 décembre 2015 par Jean-François Fiorina

Par Jean-François Fiorina. Directeur Adjoint / Directeur ESC Grenoble chez Grenoble Ecole de Management

La préservation de l'environnement est au cœur des enjeux internationaux. Il ne concerne pas seulement la question climatique. Chaque jour sont perpétrés des "écocrimes" ou des "crimes environnementaux".

Un rapport du gouvernement américain de 2000 les définit comme une activité criminelle s'appliquant à l'une des activités suivantes : commerce d'animaux ou d'espèces en danger, pêche ou exploitation illégale des forêts, commerce des matières précieuses ou de matières nocives pour la couche d'ozone (CFC), pollution enfin par déchets et trafic de déchets (dont les déchets toxiques). Une somme de trafics illégaux qui n'est en rien anecdotique.

Dans leur série d'enquêtes pour Le Monde, titrée "Les prédateurs" (HD Ateliers Henry Dougier, octobre 2015), les journalistes Marie-Béatrice Baudet et Serge Michel alertent: "Ce saccage de la nature se révèle être une véritable machine à cash qui se classe aujourd'hui au 4e rang mondial des activités illicites après les stupéfiants, la contrefaçon et la traite des êtres humains". L'expansion de ces crimes révèle une "face noire" de la mondialisation qui menace, au-delà de l'environnement, la sécurité de communautés et de régions entières.

Les crimes environnementaux ne se confondent pas avec les dommages écologiques découlant d’un accident maritime ou d’une pollution industrielle, même en cas de négligence avérée des auteurs.

Ces crimes visent explicitement la nature comme source de profits illicites et sont le fait de « groupes structurés, organisés, disposant de moyens modernes de communication » selon Ioana Botezatu, d’Interpol, lors d’un récent colloque consacré à ce sujet (Paris, 11/02/2015).

«La nature est devenue une cible pour les réseaux mafieux. Elle est pillée et défigurée. Tout fait commerce, la faune comme la flore», dénoncent pour leur part les journalistes Marie-Béatrice Baudet et Serge Michel (Les Prédateurs, 2015)

Anatomie d’une criminalité en plein essor

Le nombre d’infractions constatées est en forte croissance. En France, elles ont augmenté de 20 % entre 2010 et 2012 pour atteindre un total d’environ 70 000, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.

À l’échelle internationale, cette augmentation est plus spectaculaire encore. « Selon une communication de la Commission européenne, le marché du bois illégal représente 30 % du marché mondial. Les cornes de rhinocéros sont plus prisées que jamais, plus de 1 000 de ces animaux ont été braconnés en 2013, contre 13 en 2007. Le nombre d’éléphants tués pour l’ivoire de leurs défenses a doublé au cours de la dernière décennie, quelque 22000 de ces animaux ont été braconnés en 2012. Le chiffre d’affaires du trafic d’espèces sauvages représenterait 20 milliards de dollars » (www.actu-environnement.com, 13/02/2015).

Dans leur enquête, Marie-Béatrice Baudet et Serge Michel précisent:

« The Global Initiative, un réseau international d’experts du crime organisé, créé en 2013 à New York, estime que la pêche illégale rapporte aujourd’hui 23 milliards de dollars par an et que la Camorra, l’un des acteurs clés du trafic de déchets toxiques exportés vers les pays les plus pauvres comme la Somalie, en retire chaque année un butin de 27 milliards de dollars » 

L’une des particularités de cette criminalité est d’être en effet à la fois très locale, puisque basée sur des ressources naturellement accessibles, et de dimension internationale, car destinée à un marché non domestique, nécessitant la maîtrise des flux illicites du commerce mondial.

Ce qui explique qu’elle soit pour l’essentiel le fait d’organisations criminelles désormais « hybrides », alliances d’authentiques mafias et de milices ou guérillas « dégénérées » (Alain Bauer et Xavier Raufer, La face noire de la mondialisation, 2009).

La criminalité environnementale représente un triple défi : écologique, économique et financier, sécuritaire.

« Il est ainsi établi que le trafic d’ivoire – comme celui des diamants en son temps – finance plusieurs groupes armés en Afrique, comme l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) de la rébellion ougandaise, mais aussi les Chabab de Somalie et les milices djandjawids du Darfour, observent encore Marie-Béatrice Baudet et Serge Michel. Selon Interpol, l’argent issu du trafic de tigres sauvages dont le pénis, les os et bien d’autres morceaux sont prisés par l’élite chinoise qui leur prête des pouvoirs magiques, soutient des rebelles armés désormais maîtres de forêts en Asie du Sud. Dans cette région, la peau d’un tigre se négocie à 20 000 dollars, c’est davantage que le prix d’une jeune fille destinée aux bordels de New Delhi ou de Mumbai ».

 

Le moteur du crime : « high profit, low risk »

Le marché de la criminalité environnementale est stimulé par une demande croissante, notamment de clients chinois à fort pouvoir d’achat. Mais aussi par la relative impunité des criminels : le profit est élevé, tandis que le risque est faible.

« Le crime organisé a mené son propre audit juridique, estiment les journalistes du Monde. Il sait parfaitement que les peines de prison encourues pour la destruction des écosystèmes sont dérisoires comparées à celles infligées, par exemple, pour le trafic de drogue, alors même que les crimes contre l’environnement peuvent rapporter gros. Aux États-Unis, si vous êtes arrêté pour détention d’un kilo de cocaïne, vous pouvez écoper de dix ans de prison. Avec un kilo de poudre de corne de rhino pourtant plus rémunérateur, c’est un an… »

Outre les failles juridiques, ou la faiblesse des moyens de contrôle et donc de répression (les États-Unis ne comptent que 330 agents au sein de l’United States Fish and Wildlife Service – USFWS), le système se nourrit de la corruption des élites et fonctionnaires locaux (à Madagascar notamment, autour du trafic de bois de rose), et bien sûr de l’appât du gain, un puissant levier au sein de populations souvent parmi les plus pauvres de la planète.

Ainsi des Pardhis et des Bawarias, communautés de chasseurs indiens chassées de leurs terres pour participer à la modernisation de « la plus grande démocratie du monde », en construisant des villes, des usines ou des barrages, et devenues avec le temps de véritables gangs criminels – criminal tribes.

« Ils errent de bidonville en bidonville. Aujourd’hui, un Pardhi employé par un intermédiaire indien lui-même en liaison avec un trafiquant chinois ou népalais, va gagner 300 dollars pour l’abattage d’un tigre ! Une fortune dans un pays où la richesse par habitant s’élevait en 2013 à 1325 euros. »

Même cas de figure pour les braconniers africains, ou les jeunes Indonésiens qui travaillent à l’extraction sauvage de la cassitérite – un minerai destiné à être transformé en étain : « Cette activité leur rapporte entre 5 et 20 dollars par jour, bien plus que le salaire d’un fonctionnaire. »

Une réponse par le droit international ? 

Certains pays se sont dotés d’une législation ad hoc. Ainsi de l’Inde, dès le gouvernement d’Indira Gandhi, qui punit les braconniers et trafiquants. Même si « les peines sont loin d’être dissuasives : entre trois et sept ans de prison et 10 000 roupies (140 euros) d’amende pour une première condamnation ». Aux États-Unis, l’Agence fédérale de protection de l’environnement (Environmental Protection Agency) publie régulièrement des « wanted » à l’encontre des auteurs de crimes contre l’environnement.

Mais, comme on l’a vu, la réponse pénale reste faible au regard d’autres crimes, alors que les « éco-mafias »ne se distinguent pas fondamentalement des autres groupes et réseaux criminels. Avec des conséquences tout aussi néfastes pour les économies et sociétés locales, mais aussi pour le commerce international, « pollué » par les trafics illégaux.

C’est notamment ce qu’observe le criminologue Xavier Raufer:

« L’opinion mondiale est désormais farouchement pour la nature et la sauvegarde des forêts? Les déforestations illicites vont donc rapporter une fortune, en vertu du simple principe de l’offre et de la demande. Interpol et l’ONU estiment ainsi que le commerce illicite de bois (essences rares, protégées, etc.) s’élève à 30 milliards de dollars par an, dont 8 milliards pour la seule Indonésie » (Géopolitique de la mondialisation criminelle, Puf, en partenariat avec le Festival de gépolitique & géoéconomie de Grenoble, 2013).

Tandis qu’en Italie, l’essentiel des crimes contre l’environnement affecte les quatre provinces méridionales (Campanie, Calabre, Sicile et Pouilles) – soit les territoires d’implantation privilégiée des mafias…

Face à ce défi, des chercheurs et des ONG plaident pour la reconnaissance des « écocides », c’est-à-dire des crimes environnementaux les plus graves, et leur judiciarisation via le Tribunal pénal international. Créer une compétence universelle pour la sanction de l’écocide supposerait cependant que tous les pays puissent poursuivre cette infraction, et en adoptent la même définition.

 Créer une compétence universelle pour la sanction de l’écocide

Alors que la compétence du TPI n’est toujours pas reconnue par de nombreux pays, dont les États-Unis, force est de reconnaître que cette proposition a peu de chance de s’affirmer dans les années à venir.

Restent les États, qui doivent renforcer leurs moyens de répression et leur coopération s’ils entendent réellement « œuvrer pour la planète ». Et pas seulement sous l’angle des changements climatiques.

Pour aller plus loin :

    Les Prédateurs. La nature face au crime organisé. Une enquête « Le Monde », Ed. Ateliers Henry Dougier, 128 p., 17,25 € ;

Des écocrimes à l’écocide. Le droit pénal au secours de l’environnement, sous la direction de Laurent Neyret, Bruylant/LGDJ, 468 p., 49 €.