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L’AFRIQUE ET LA GOUVERNANCE MONDIALE : LES TERMES D’UN DEBAT

Publié le, 21 février 2011 par Mamoussé DIAGNE,

S’adressant le 24 septembre à la communauté internationale du haut de la tribune des Nations Unies à New York dans le cadre du débat général de la 65e Assemblée générale de l’ONU, le président de la République du Sénégal, terre d’accueil de ce Festival a fait, entre autres, deux déclarations. Il a annoncé l’évènement qui nous réunit et qui marque la volonté d’ouverture de l’Afrique au monde ; mais il a surtout consacré l’essentiel de son intervention au thème de la place de l’Afrique dans la gouvernance mondiale. Je veux voir dans la conjonction de ces deux déclarations la pertinence de notre thème et de sa place particulière dans le Colloque. Et parce que nous traitons de la place de l’Afrique dans la gouvernance mondiale, j’emprunte un raccourci.

Maître Wade a soutenu avec force, s’agissant du cas du président Omar Béchir : « La CPI ne sera pas crédible si le président soudanais doit être le seul à être poursuivi avec un empressement suspect » et qu’il faut « faire en sorte que la CPI reflète les principes de l’ONU que sont l’universalité et l’égalité ». Universalité, égalité en tant que critères de la légitimité, mais également fondements de cette question terrible par la solennité du lieu et l’identité de son auteur : « Comment concevoir un rôle crédible pour notre Organisation dans la gouvernance mondiale, sans que l’Afrique, qui compose plus du quart de ses effectifs, et occupe 70 % des questions à l’ordre du jour du Conseil, ne dispose d’aucun siège permanent au conseil ? »

Comme le nouveau se dit difficilement dans le langage de l’ancien, il est hautement significatif que le propos du président sénégalais ait commencé par traquer dans le lexique de la charte des termes aussi obsolètes que ceux de « nations ennemies » ou « nations civilisées » pour déboucher sur la proposition de son pays de « mettre fin à cette anomalie et réparer une injustice historique en octroyant à notre continent un siège permanent avec droit de véto » au bout de « 17 ans de négociations sans perspective réelle de consensus »

La question qui nous occupe est ainsi clairement posée, et même imposée par l’histoire, par sa persistance et sa portée à l’échelle du monde. Et pour l’aborder, notre posture intellectuelle rappelle, à bien des égards, celle de Machiavel qui raisonne sur l’Etat alors que l’Italie d’alors n’était qu’une « expression géographique », selon l’heureuse expression de Mesnard. On sait que l’unité italienne ne sera réalisée qu’au XIXe siècle, la théorie anticipant sur le réel, comme la dénonciation d’un manque qui demande à être comblée. Notre objet de réflexion s’inscrit également dans une faille ou une faillite du réel. Mais la parenté va encore au-delà. Des élections européennes se sont tenues il y a peu, comme pour rappeler à tous que les véritables acteurs de l’histoire de notre monde globalisé ont cessé d’être les entités nationales classiques pour revêtir la dimension de véritables continents. Au moment où plusieurs nations dans le monde arrivent, malgré ou à cause d’une histoire tourmentée à s’accorder pour mettre en place des structures supranationales capables de peser sur la marche du monde, force est de reconnaître que la réalité qui s’offre à l’observateur est celle d’une Afrique fragmentée, éclatée, en proie aux luttes et aux divisions, détentrice de plusieurs records des moins flatteurs et champ de lutte des puissances extérieures. L’insignifiance de son poids dans les décisions de portée mondiale va jusqu’à inspirer aux plus cyniques l’idée qu’on pourrait la rayer du globe sans incidence significative dans les domaines importants de la vie des hommes. Que cette Afrique-là pose le problème de sa place et de son rôle dans la gouvernance mondiale, cela semble relever du paradoxe, ou de l’utopie. Sauf à inscrire cette prérogative au nombre des droits de l’homme, en oubliant que ceux-ci sont l’objet d’une conquête et d’une défense permanentes.

Si donc la participation à la gouvernance mondiale n’est pas un droit naturel, automatique, relevant du bon sens (dont on a pourtant dit qu’il est la chose du monde la mieux partagée), alors la réflexion doit partir d’une problématique dont les termes doivent être rigoureusement construits. Parler du rôle et de la place de l’Afrique dans la gouvernance mondiale, c’est peut-être produire un énoncé dont la pertinence a à être fondée. S’agit-il d’un jugement de réalité, de l’évaluation de l’existant pour, éventuellement l’améliorer ? Ainsi compris, l’énoncé relève d’un vrai scandale théorique qui s’estomperait s’il concernait la Chine ou l’Europe. C’est donc que dans l’en-deca de la question quelque chose se joue, qui doit amener jusqu’à la reformulation de la question elle-même, en gommant le parfum de scandale qui accompagne sa position. On se demandera : comment, en posant quels actes, en usant de quelles démarches et en adoptant quelles options le continent qu’est l’Afrique pourrait-elle être un candidat crédible pour participer à ce qu’il est convenu de désigner sous le vocable gouvernance mondiale ? Il s’agit bien de mesurer une prétention, de jauger une capacité à l’aune d’un droit non encore acquis, et qui relève alors de la revendication.

Mais la sagesse des nations enseigne qu’il n’y a de revendication (surtout s’agissant de la gouvernance, c’est-à-dire de la prise de décision) que pour quelqu’un capable de la soutenir et de la faire valoir, voire de l’imposer aux autres. Ce qui n’est possible que si on est doté d’une volonté d’affirmation autonome, que si on est un véritable sujet à même d’exprimer cette volonté. L’Afrique est bien l’objet d’une multiplicité de discours depuis des périodes très reculées jusqu’à ce qu’on appelle le discours post-colonial. Cette Afrique-là a subi les effets des décisions prises par d’autres, ceux-là mêmes qui ont « gouverné » le monde en l’excluant ou en la marginalisant. Toujours objet dans toutes ces situations, est-elle à même, au moment où elle pose la question relative à la gouvernance mondiale, de revendiquer la posture de sujet, seule permettant d’affirmer une volonté autonome de participer aux décisions qui la concernent ? Si non, on doit en tirer toutes les conséquences et reconnaître que la question telle que nous l’abordons ne relève pas de l’être mais du devoir-être, qu’elle relève du vœu ou de la revendication, dont on peut se demander simplement si elle est sensée. Et on peut craindre que ceux qui décident de son caractère sensé ou non soient encore les autres, dans un rapport qui demeure celui de l’hétéronomie.

 Il est bien possible de bâtir tout un plaidoyer habité par la nostalgie, le continent ayant abrité quelques unes des civilisations les plus brillantes, notamment le long de la bande de terre qui borde le Nil. Ou d’évoquer, non sans raison, tous ces handicaps : l’esclavage, la colonisation et le pillage de ses ressources, qui ont grevé le développement de l’Afrique et empêché le rendez-vous avec soi-même par lequel se construit tout sujet historique. Mais on voit bien les limites de telles tentatives : ni le miroir d’un passé glorieux, encore moins l’imputation de la responsabilité à autrui (qui ne peut d’ailleurs être que partielle, dans notre histoire récente et présente), ne permettent la construction conceptuelle et politique du sujet historique à laquelle est suspendue la pertinence de la question qui le concerne.

Certes, le concept d’une Afrique comme sujet ne saurait faire abstraction de la profondeur historique, comme l’ont montré Cheikh Anta Diop et ses successeurs, Ki-Zerbo et tous les auteurs qui, sous l’égide de l’UNESCO ont imposé de plus en plus l’idée que l’Afrique a abrité une civilisation qui, à un moment donné, a été l’institutrice du monde. Que les causes ou effets de la perte de l’initiative historique et de la souveraineté l’aient vidé de millions de ses enfants parmi les plus solides et soumis ses richesses au pillage pendant des siècles au profit d’autres parties du monde qui se sont développées alors qu’elle s’enfonçait dans la régression et la misère, c’est ce qui n’est plus objet de doute. Que son processus de marginalisation ait accompagné celui de la mondialisation, avec son dépeçage suivi de l’étouffement de tout projet cohérent de recomposition et d’initiative de quelque ampleur, c’est ce qu’il est permis à tout esprit non prévenu de constater. Même si, dans la période postcoloniale surtout, on ne peut passer sous silence la complicité de régimes africains dont le procès reste largement à faire. La conséquence de tout cela, rapporté à l’objet de notre propos, c’est ce que l’historien Boubacar Barry identifie parmi les obstacles les plus sérieux à l’émergence du sujet africain véritable. Il s’agit d’une série de « fragmentations » cumulées concernant l’espace, la langue, l’économie, et jusqu’aux visions métaphysiques du monde. Tel le corps démembré d’Osiris, l’Afrique (ou les Afriques) ainsi présentée se positionnera difficilement en sujet libre dans un espace d’interlocution égalitaire avec les autres.

La comparaison avec ces autres est accablante, ses Etats les plus nantis découvrent à l’occasion de la révision en baisse du budget de la Californie, que les économies prévues (de l’ordre de 2%) sont supérieures à la totalité de leur budget. Les avoirs d’une équipe de football comme Manchester United dépassant ceux de 85 % des Etats africains, on se demande alors comment un de ceux-ci pris au hasard, ou même la totalité (totalité toute formelle) pourrait poser le problème de sa participation à un gouvernement mondial, sans provoquer le rire. Mais ce rire peut être salvateur, si nous savons et voulons prendre l’exacte mesure de ce qu’il signifie, à savoir qu’autour de la table où se décident les affaires du monde, les places sont payantes et non octroyées. Il est salvateur par ce qu’il oblige à penser et à être pour poser la question au-delà de la seule revendication ou du bon vouloir d’autrui.

La revendication ne suffisant pas en fait, sinon en droit, l’Afrique a à se donner comme objectif de s’égaler à sa propre ambition, de concevoir un futur inscrit dans son propre agenda. L’un des tout derniers ouvrages de Joseph Ki-Zerbo est intitulé « A quand l’Afrique ? » Il est possible de lire dans le mode interrogatif du libellé l’angoisse d’un homme, ou plus sûrement la dimension prospective dans laquelle l’Afrique doit se construire comme sujet pour seulement avoir droit à la parole. Constituée au terme d’une histoire dont elle n’a pas toujours eu à choisir les rythmes et les phases, elle doit se convaincre qu’elle peut contribuer à faire celle qui est en cours. Ce qui lui impose de passer en revue, sans complaisance et sans se décharger totalement sur les autres de son destin présent et passé, ses forces et ses faiblesses pour affronter avec des chances de succès les défis du XXIe siècle.

Ses atouts, c’est une population relativement jeune de bientôt un milliard d’âmes, beaucoup d’espace à mettre en valeur, là où d’autres ont un problème de surpeuplement ou un vieillissement de la population dû aux progrès de la médecine. C’est surtout d’être le continent le mieux doté en matières premières, avec sur et sous son sol un tiers des réserves mondiales, toutes richesses confondues, malgré le pillage qui se poursuit de nos jours.

Mais comme on dit qu’il n’y a de liberté que pour qui se propose de franchir les obstacles, il convient de jauger l’énormité de ceux-ci. L’Afrique détient le record de l’analphabétisme au moment même où les Nations Unies définissent les sociétés du siècle comme des « sociétés du savoir ». La pauvreté endémique du fait de politiques mal conçues, élaborées ailleurs en fonction d’autres intérêts, ou mal appliquées par des hommes incompétents insuffisamment pénétrés des préoccupations de leurs peuples, certains programmes se résumant à la main tendue et subordonnés à la volonté intéressée des donateurs, à quoi viennent s’ajouter la corruption et la mal-gouvernance, tel est le tableau qu’offre souvent le continent. Et comme si cela ne suffisait pas, des guerres ouvertes ou larvées entre Etats et au sein des Etats engendrent des régressions spectaculaires qui ramènent parfois à la période d’avant les indépendances. C’est cette Afrique qu’il faut penser, avec le déphasage entre les enjeux du moment et la réalité, qui ouvre l’espace du paradoxe par lequel cette réflexion a commencé. C’est face à cette équation historique posée aux peuples du monde entier que certains qui ont fait l’expérience des guerres se soldant par des dizaines de millions de morts mettent en place des structures de pensée et d’action capables de la résoudre pour leur propre compte. Structure politique de grande taille, pensée exprimant une volonté cohérente, voilà qui précise deux impératifs auxquels l’Afrique est confrontée, plus que toute autre partie du monde : celui de l’unité d’une part, et celui d’une véritable pensée stratégique d’autre part.

Concernant le premier, ce que nous avons dit sur la fragmentation et le poids négligeable de chaque Etat (fut-il le Nigéria ou l’Afrique du sud) suffit pour poser l’unité des peuples africains comme un impératif catégorique de l’histoire. Le débat ne peut dès lors porter que sur les modalités de sa réalisation : cercles concentriques et fusions progressives, structure fédérale ou confédérale, etc. A quoi s’ajoutent la construction de l’Etat de droit, la démocratie participative, et l’idée d’une véritable éducation à la citoyenneté africaine, qui est tout le contraire des querelles tribalistes et du micro-nationalisme de mauvais aloi. Mais comme notre perspective insiste surtout sur l’émergence d’une Afrique se posant comme sujet, le second impératif, celui de la pensée stratégique nous retiendra davantage.

Une pensée stratégique c’est d’abord et avant tout une pensée, une problématique, autrement dit, un système argumenté de raisons articulé au service d’un dessein. Elle doit être la plus compréhensive possible, allant des représentations les plus traditionnelles qui continuent d’exister dans les groupes numériquement les plus importants, jusqu’aux visions les plus modernes. La méthodologie, privilégiant la synthèse structurante, s’organise autour des préoccupations des acteurs qui devraient se sentir d’autant plus concernés par le caractère endogène des grandes orientations. On peut, en tirant le bilan d’un demi-siècle de projets de développement, tenir pour acquis que la plupart de ceux-ci ont échoué faute d’une prise en compte de cette dimension. L’endogène, c’est d’abord la vision du monde structurée par la culture d’un groupe. Sans tomber dans un culturalisme à tous crins, on peut considérer comme absurde l’ignorance des grilles à partir desquelles des hommes disent leurs rapports au monde, non seulement dans ce qu’ils sont présentement, mais aussi dans leurs rêves et leurs souhaits. Si toute stratégie est anticipation, elle se dit dans un langage, au sens où Wittgenstein dit : « Les limites de mon univers sont les limites de mon langage ». Dire l’unité et le développement de l’Afrique dans le langage des peuples africains suppose un compromis avec leurs façons de voir, avec leurs virtualités et les limites de leurs codes. Il ne s’agira évidemment pas de les adopter tels quels, mais d’opérer une mise en perspective, un tri pour repérer les éléments les plus dynamiques et les plus adaptés au projet. Et c’est ici que la place et le rôle des intellectuels s’avère déterminant.

Depuis bien longtemps le facteur intellectuel est apparu dans les sociétés comme une force productive. On ne peut expliquer la place actuelle du Japon, ce chapelet d’îles dans l’immensité de l’Océan Pacifique sans richesses naturelles, la seule partie du monde à avoir subi le feu nucléaire, sans l’option décisive des réformes Meiji et Tanaka de tout miser sur l’éducation et la constitution d’un potentiel intellectuel de haut niveau. Car ce qui va décider de la place et du rôle des nations aujourd’hui, c’est justement la concentration critique de matière grise dont elles disposent. C’est pourquoi, l’urgence des urgences que devra affronter l’Afrique, non pas après son unité mais dans son processus même d’unification, c’est l’accélération de la formation de ses cadres à tous les niveaux, et une politique capable de les retenir et de faire revenir ceux qui sont partis en leur offrant des conditions de vie décentes. Une décision si capitale parce qu’elle conditionne tout le reste, a un prix : la remise en cause radicale des politiques et des structures de formation. Dans l’enseignement supérieur chargé de former les cadres de haut niveau, par exemple, la dispersion actuelle est hautement préjudiciable à l’enseignement et à la recherche. Différentes solutions peuvent être explorées, privilégiant dans tous les cas la concentration des moyens matériels et humains. Elles peuvent se réaliser sous la forme d’universités confédérales disséminées sur le continent ou comme des centres aux filières spécialisées dont les lieux d’implantation sont à penser, pourvu que leur vocation africaine soit affirmée prioritairement. Dans le court terme, l’outil informatique offre des possibilités énormes dont il faut tirer profit par la mise en réseau des universités existantes et l’enseignement à distance.

Dans un autre domaine, un minimum de bon sens suffit pour montrer que le spectre de la famine, avec son corollaire, l’épée de Damoclès de l’arme alimentaire, ne devrait plus hanter un continent ayant toutes les variétés de climats, et dont les meilleurs sols se situent dans des zones où l’occupant s’intéressait plus aux mines et où il pleut neuf mois dans l’année. La même aberration existe dans le domaine des énergies allant du fossile au solaire en passant par le nucléaire, avec tous les minéraux, des plus vils aux plus précieux. Il suffit d’imaginer un instant ce que pèserait l’Afrique, si elle se donnait simplement une capacité de négociation collective, pour comprendre qu’alors des nations du monde, et même des groupes de nations aujourd’hui si respectés se jetteraient à ses pieds. Mais justement, parce qu’ils n’ont aucune envie de se jeter à ses pieds, ils ne lui faciliteront pas la tâche, bien au contraire.

Les Africains doivent en être pleinement conscients car les pays du nord ont tiré la leçon des crises pétrolières. Pour les Africains, tirer les leçons de l’histoire récente et moins récente, c’est, avant tout, changer le regard qu’ils ont jusqu’ici posé sur eux-mêmes et sur les autres. Il est temps qu’ils assument leur histoire et toute leur histoire, ce qui est la seule façon d’accéder à la responsabilité et au statut de sujet. Etre un sujet responsable, c’est rendre des comptes à soi-même et aux autres de la manière dont nous avons géré notre destin depuis un demi-siècle. Et, malgré le lourd passif qui a précédé et qui a suivi, décider de prendre un nouveau départ dans l’histoire, avec l’idée que « si tous les peuples ont les mêmes droits, il y en a qui ont plus de devoirs que d’autres ». Un jeune président, nouvellement élu par la nation la plus puissante de la planète, dont le père est, comme par hasard parti un jour de ce continent, permet de résumer ce point important, dans la recommandation faite à ceux de sa communauté : assumer toute son histoire, sans en être prisonnier. Dans un texte écrit lors de son avènement, nous avons soutenu que Barack Obama apportait dans le champ de la politique un nouveau paradigme, si on admet que la fonction d’un paradigme est d’opérer un réaménagement dans le champ du symbolique. Ce paradigme est plein d’enseignement pour les Africains : rendre possible, par la volonté d’un sujet ce qui, auparavant, ne pouvait être envisagé que comme impossible ou infiniment peu probable. La valeur du paradigme renverse la signification du débat sur ce qu’il peut nous apporter, qui n’a rien à voir avec la politique de l’aide. Dans la nouvelle approche qu’il vient lui-même de proposer sur les OMD, il s’est adressé à nous dans notre corpus proverbial : « Si quelqu’un te lave le dos, lave toi le ventre ». Démétaphorisé, cela donne : « Nous voulons vous aider à réaliser vos aspirations, mais il n’y a pas de substitut à votre leadership ». Ce qu’il nous a déjà apporté c’est précisément ce paradigme, qu’il n’est plus au pouvoir de personne, même pas lui, de nous retirer, dut-il le trahir en décevant les espoirs placés en lui dans et hors de l’Amérique. Il faut le dire et le répéter : au moment de son élection, Obama avait infiniment moins de chance de parvenir à son objectif que nous d’atteindre le nôtre. De sorte que, poser la question du rôle et de la place de l’Afrique dans la gouvernance mondiale revient, toutes choses étant égales par ailleurs, à poser la question du rôle et de la place d’un citoyen nommé Obama, il y a quelques années, dans la ville de Chicago et dans l’Amérique. Penser et vouloir de toutes ses forces gravir le chemin escarpé qui mène au but, c’est assumer ce qui chez lui a alors fonctionné comme un slogan, en le faisant accéder à la dignité d’un concept théorique et à l’énoncé pragmatique d’un programme : « Yes, we can ! »

                                                                            Mamoussé DIAGNE,

Agrégé de philosophie,
                                                     Maître de Conférences (UCAD)